En discutant avec mon Maestro, Don Justino Apaza Flores, paco de la communauté Q’eros, je lui partageais mon désir de me relier davantage au sacré, à la nature, aux esprits.
Il m’a simplement répondu :
“Pourquoi veux-tu être plus en lien qu’en lien ?”

Sa réponse m’a touchée profondément. Elle m’a arrêtée net. Elle a fait vibrer en moi quelque chose d’antique et de vrai.
Elle m’a rappelé que le lien n’est jamais perdu, jamais rompu.
C’est une illusion de séparation que nous entretenons - par habitude, par oubli, par peur peut-être.
Nous sommes déjà en lien, intimement, entièrement. Avec chaque brise, chaque pierre, chaque souffle. Le Vivant nous traverse, nous enveloppe, nous habite.
Le chemin n’est pas d’atteindre un ailleurs, mais de reconnaître ce qui est déjà là.

Le grand malentendu

Dans le monde moderne, nous avons été formés, domestiqués, à croire que nous sommes seuls, séparés, distincts du reste du monde.
Nous avons appris à dire "la nature", comme si elle était en dehors de nous.
Nous parlons du “sacré” comme d’un domaine lointain, mystérieux, presque inaccessible.
Et nous cherchons des pratiques, des savoirs, des voies pour "retrouver" ce lien, sans toujours voir que c’est justement ce regard-là, ce sentiment de manque, qui nous en éloigne.

Se croire séparé, c’est déjà souffrir.
C’est nourrir une nostalgie confuse, un sentiment diffus d’exil.
Mais c’est une illusion : nous n’avons jamais quitté le Vivant. Nous avons seulement cessé de l’écouter.

Une autre vision du monde

Dans la cosmovisión andine, transmise depuis des générations par les communautés comme celle des Q’eros, il n’existe pas de frontière entre l’humain et le monde.
Tout est kawsay (énergie de vie). Tout est interrelié.
Les montagnes (Apus) sont des esprits, les lacs ont une mémoire, le vent parle, les pierres écoutent.
Nous ne sommes pas “dans” la nature : nous sommes nature, participants d’un grand tissu énergétique, porteurs d’une parcelle du souffle sacré de la Terre.

Le paco, dans cette tradition, n’est pas un “prêtre” au sens religieux occidental.
C’est un marcheur du Vivant, un tisseur de lien, un serviteur de l’équilibre.
Ses rituels ne visent pas à “créer” du lien, mais à l’honorer, à l’actualiser, à le faire vibrer consciemment.

L’un des principes fondamentaux est celui de l'Ayni, la réciprocité sacrée.
Donner à la Terre, remercier l’eau, offrir un souffle aux montagnes.
Pas pour recevoir en retour.
Mais pour maintenir l’équilibre du monde.
Pour ne pas oublier que nous sommes liés.

Revenir au lien, ce n’est pas faire : c’est se souvenir

Ce que Don Justino m’a montré d’un simple regard, c’est que le lien n’a jamais disparu.
Il est là, dans le souffle, dans le battement du cœur, dans l’ombre d’un arbre, dans la présence d’un oiseau.
Il suffit de s’arrêter. De respirer. D’ouvrir l’écoute.

Ce n’est pas tant une quête vers un ailleurs qu’un "rappelement".
Une reconnexion avec notre sensitivité oubliée.
Une resacralisation du monde, non pas par de grands gestes, mais par une qualité de présence, une attention douce, une gratitude sincère.

Il ne s’agit pas d’apprendre plus, mais peut-être de désapprendre : le besoin de contrôler, de nommer, de comprendre.
Et de revenir à quelque chose de simple, de vivant, d’immédiat.

Le lien est une qualité de présence

La phrase de Don Justino nous invite à changer de posture intérieure : non pas "aller vers" quelque chose de l’extérieur, mais nous souvenir que nous sommes déjà enveloppés, immergés, traversés par ce lien. Ce n’est pas une quête vers un ailleurs, c’est un retour ici, maintenant, dans le corps, dans le cœur, dans le souffle.

Vouloir "être plus en lien", c’est parfois vouloir "faire" quelque chose - une cérémonie, une prière, un rituel - pour compenser un sentiment d’éloignement. Mais ces actes ne sont pas des moyens de fabriquer le lien. Ils sont là pour nous aider à le reconnaître, à l’honorer, à l’approfondir en conscience.

Une transmission vivante

Alors oui, je voulais me “relier davantage” au sacré.
Mais le sacré n’est pas ailleurs.
Il est dans la pierre que je foule.
Dans le silence que j'écoute, dans le silence qui m’écoute.
Dans la parole du Maestro qui me rappelle :“Pourquoi veux-tu être plus en lien qu’en lien ?”


GRACIAS MAESTRO